Adventices

 

 

Thermoplastique, pigments naturels, (moulage et modelage, 13 pièces échelle un), bois, miroirs, 3m x1,70m x 60 cm, Galerie mobile Tinbox (Agence créative), espace public, cathédrale de Bordeaux, Château du Prince noir, Lormont, Été métropolitain 2015.

Une structure ouverte abrite des sculptures représentant grandeur nature quelques espèces de plantes sauvages : les “adventices” que l’on peut rencontrer dans les rues. Les parois intérieures, recouvertes de miroirs, en réfléchissent l’image à l’infini, suggérant sur un sol régulier la prolifération clairsemée d’un jardin spontané, à l’aspect changeant selon les points de vues.

(Présentations différentes : expositions Vert l’infini et au-delà ! (Librairie N’a qu’un œil, Bordeaux, octobre 2015, En traversant le paysage, Chapelle Saint-Loup, Saint-Loubès, mars 2016).

Parmi les démarches artistiques qui ont marqué ma formation, je me rappelle les lectures de paysages industriels de Robert Smithson, artiste d’une branche du Land art, mais aussi le récit des aventures du collectif Stalker qui explore les “territoires actuels”, les zones péri-urbaines en creux, en négatif de ce que la ville donne habituellement à voir. Leurs périples ont commencé à Rome dans les années 90. Pour le tram bordelais ils ont produit une série de brises-vent représentant les parties d’une mappe-monde dont les continents sont en bleu et les océans en transparence.

Au cours de libres démabulations (qui allaient devenir pour beaucoup d’artistes une méthode de travail voire un objectif en soi) je me suis intéressé très tôt à ce qu’on ne remarque pas dans l’espace urbain, lorsqu’on l’arpente quotidiennement, et aux motivations de la prise de vue photographique, via la notion de pittoresque.

Liée à l’imaginaire de la ruine, la présence de la végétation spontanée en ville s’impose assez vite au regard. Anfractuosités, interstices, fissures, supports improbables ou espaces délaissés sont colonisés par ces fragments de biodiversité, nous rappelant que nous avons bâti nos cités aux matériaux inertes sur des sols vivants.

Ces plantes sauvages (aux vertus médicinales, culinaires, bioindicatrices, tinctoriales, cosmétiques…) présentent une grande diversité morphologique et leur étude botanique et esthétique faisait autrefois partie intégrante de la formation intellectuelle. Dans ce monde en prise à d’incessantes métamorphoses, les artistes, comme en charge d’en fixer des états, ont produit, à travers l’histoire, des planches botaniques semblant parfois exprimer l’univers entier dans une seule touffe d’herbe (voir les aquarelles d’Albrecht Dürer)…

Pour ce projet en milieu urbain, j’ai voulu renouer avec l’idée de la rencontre fortuite avec ces plantes sauvages : les adventices (ce qui survient, ce qui s’ajoute). On peut parfois s’identifier à leur fascinantes capacités d’adaptation et de résistance, et ces “mauvaises herbes” sont souvent symboles de liberté. Qui n’a pas dans son enfance cueilli des coquelicots ou soufflé sur les aigrettes d’un pissenlit ? Elles racontent en tout cas notre rapport à la nature que l’on cherche souvent à maîtriser mais dont on peut aussi accepter le développement et les surprises. Comme Gilles Clément, de plus en plus de paysagistes respectent les dynamiques naturelles de notre “jardin planétaire”.

Aujourd’hui ces plantes sont aussi au cœur de stratégies économiques, leurs usages ancestraux faisant l’objet de tentatives d’interdiction et d’homologation à des fins commerciales. Sont ordonnées dans ce but des études sur la dangerosité de l’ortie par exemple, alors que les produits phytosanitaires continuent d’être utilisés massivement dans nos paysages (c’est la “guerre de l’ortie”, méconnue du grand public).

De manière plus générale, la présence végétale dans la cité, qu’elle soit nourricière, ornementale, ou écologique, est l’un des enjeux sociaux et culturels majeurs pour la ville de demain.

À Bordeaux, les rues ne sont plus désherbées chimiquement depuis quelques années et la municipalité encourage maintenant la végétalisation des rues. La nature spontanée n’est plus indésirable et nous reconnecte aux territoires sous-jacents de la ville, à ses sols, à son histoire.

Ici, on en trouve comme des empreintes : des sculptures, que j’ai réalisées par moulage et modelage, représentent quelques adventices, colonisant les dalles d’un sol minimaliste, rappelant les vues en perspective de cités idéales, de la renaissance italienne. Un dispositif de miroirs en multiplie l’image à l’infini, si l’on se penche pour trouver le bon point de vue, et semble constituer une trame virtuelle se superposant à celle de l’espace urbain.

Portant l’intention d’évoquer la diversité, ces “individus” (terme botanique désignant chaque plante) ne représentent pourtant que quelques espèces, se répétant visuellement : pissenlit, vergerette, plantain, mauve, picris, pâturin, pourpier, porcelle, amaranthe, chénopode, gaillet, phytolaque, aster… Dans cette grande boîte, chacun peut projeter son imaginaire et ses propres questionnements. Elle est aussi une simple invitation à ne plus passer à côté des vraies adventices sans les voir.

L.C.

Lire l’article de Valérie Champigny (Rue89, Marge de manœuvre)

 

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